Titre: Livre Blanc sur la Défense, 1994 - Chapitre quatrième
CHAPITRE QUATRIÈME: PROTECTION DU CANADA
Considérées dans leur ensemble, la superficie de notre pays et sa faible densité de population présentent des défis uniques aux responsables de la planification de défense. Notre territoire couvre près de 10 millions de kilomètres carrés, soit quelque 7 p. 100 de la superficie des terres émergées. Nous sommes entourés de trois océans, qui nous donnent plus de 240 000 kilomètres de littoral, et nous sommes responsables de l'espace et des abords aériens du Canada. Enfin, au-delà de ses côtes, le Canada doit encore exercer sa souveraineté politique et sa juridiction économique sur 10 millions de kilomètres carrés dans le Pacifique, l'Atlantique et l'Arctique.
Notre géographie n'est pas seulement celle d'un pays vaste, elle est également diversifiée et extrêmement astreignante. Ses exigences sont considérables, autant vis-à-vis de notre personnel militaire, que de l'instruction et du matériel. Le territoire canadien, c'est, en effet, des montagnes, des fjords, d'immenses plaines, des forêts denses et humides, des étendues désertiques, ainsi que le milieu très particulier de l'Arctique. Notre climat est rigoureux, et nombreux sont les Canadiens qui doivent gagner leur vie dans des lieux isolés et difficiles - nos trois océans, le Grand Nord, des mines ou des forêts lointaines.
Les Canadiens chérissent leur pays, lequel est d'une grande richesse tant par la beauté de ses sites que par ses ressources naturelles. Ils ont bien fait comprendre à leurs gouvernements, les uns après les autres, qu'ils ont à coeur la protection de ces biens précieux. Ils se soucient de la qualité de l'environnement en général, aussi bien que de la gestion de ressources spécifiques, comme les bois et les pêches. Tous ces sujets sont autant de questions devenues de plus en plus pressantes ces dernières années et qui exigeront une vigilance accrue et une meilleure gestion.
Défense et souveraineté du Canada
La souveraineté est un attribut essentiel de l'État-nation. Pour le Canada, cela signifie qu'il faut que la loi canadienne soit respectée et appliquée dans les zones relevant de sa juridiction. Le gouvernement entend y veiller.
Certains de nos concitoyens estiment que les récents bouleversements survenus dans le monde ont eu pour effet d'éliminer le besoin de Forces canadiennes pour défendre le Canada. Pourtant, réduire à néant la capacité de défendre notre pays serait une grave erreur. Il faut que jamais le Canada ne se voie contraint par ses choix antérieurs d'abandonner à d'autres la responsabilité de défendre son territoire.
Aide au pouvoir civil.
Tout au long de l'histoire du Canada, les provinces ont eu recours aux forces armées pour maintenir ou rétablir l'ordre lorsque les autorités civiles n'en avaient pas les moyens. L'article 275 de la Loi sur la défense nationale stipule que les Forces canadiennes :
- sont susceptibles d'être requises pour prêter main-forte au pouvoir civil en cas d'émeutes ou de troubles réels ou jugés imminents par un procureur général et nécessitant une telle intervention du fait de l'impuissance même des autorités civiles à les prévenir, réprimer ou maîtriser.
Le rôle des Forces canadiennes dans ce contexte est défini de façon très précise. Lorsqu'une émeute ou des troubles éclatent ou sont susceptibles d'éclater et que les autorités civiles sont incapables de les réprimer, le procureur général de la province concernée peut demander que les Forces canadiennes portent assistance au pouvoir civil. En pareil cas, c'est au Chef d'état-major de la Défense qu'il appartient de déterminer la nature de l'intervention. Il ne s'agit pas, pour les Forces canadiennes, de se substituer au pouvoir civil; elles l'aident simplement à maintenir l'ordre.
Le recours aux Forces canadiennes dans de telles situations a été relativement peu fréquent ces dernières années. La crise d'Oka, en 1990, nous a cependant rappelé que de telles situations peuvent bel et bien se produire. Les Forces ont contribué à désamorcer cette crise-là. Elles ont àcette occasion démontré qu'il est d'autant plus utile de pouvoir compter sur des militaires disciplinés, bien formés et bien menés, que cette capacité permet au gouvernement d'affronter des situations qui risquent de devenir explosives.
Les Forces canadiennes peuvent être appelées à prêter main-forte aux autorités civiles dans d'autres circonstances, et notamment face à des actes terroristes, lorsque les moyens des forces policières ne suffisent plus. Parmi les ressources dont disposent les militaires figure un groupement opérationnel interarmées capable d'intervenir de façon immédiate et efficace.
Surveillance et contrôle en temps de paix.
Surveillance et contrôle font partie intégrante des activités des Forces au Canada. En effet, même si notre pays ne fait actuellement l'objet d'aucune menace militaire directe, il faut que nos forces navales, terrestres et aériennes puissent maintenir et mettre en pratique les compétences nécessaires pour exercer un contrôle efficace de notre territoire, de notre espace aérien et de nos abords maritimes. En soi, posséder les moyens d'assurer une présence partout où le Canada est souverain fait incontestablement la preuve que les Canadiens ne toléreraient pas de voir cette autorité mise en doute.
C'est à des organismes civils, comme le ministère des Transports, qu'appartient la responsabilité d'un grand nombre des activités gouvernementales de surveillance et de contrôle du territoire, de l'espace aérien et des zones maritimes du Canada. Les Forces canadiennes leur apportent cependant une aide précieuse dans l'exercice de ces fonctions exigeantes, qui nécessitent souvent une disponibilité opérationnelle plus grande et des moyens plus puissants que ceux dont ils disposent. La capacité de déployer, n'importe où dans le pays, des militaires hautement qualifiés et du matériel spécialisé, dans les plus brefs délais, nous permet aussi de satisfaire d'autres besoins nationaux et, entre autres, ceux qui touchent la protection de l'environnement, la recherche et le sauvetage, les secours aux sinistrés, la lutte contre le trafic des stupéfiants et la protection des pêches.
Protection de nos frontières contre les activités illégales.
Le Canada est de plus en plus exposé aux entreprises d'individus et de groupes qui cherchent à exploiter les ressources et les vastes étendues de son territoire à des fins illégales. Ces entreprises portent en particulier sur le commerce illicite de la drogue et d'autres substances de contrebande ainsi que sur l'immigration clandestine. L'appui des Forces canadiennes aux autres organismes gouvernementaux contribue dans une large mesure à faire échec à ces activités.
Lors du renouvellement de l'Accord sur la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD), en 1991, par exemple, le Canada et les États-Unis sont convenus d'assigner à NORAD un rôle dans la lutte contre le trafic des stupéfiants. Bien que secondaire, cette mission, qui bénéficie aussi de l'appui de nos éléments maritimes et terrestres, permet de constater comment des structures et les ressources existantes peuvent être adaptées pour faire face à de nouveaux problèmes.
Protection des pêches.
Il est clair que les Canadiens souhaitent empêcher l'effet dévastateur de l'exploitation illégale de leurs pêches. À la suite de la raréfaction d'importantes espèces de poissons, la question s'est faite encore plus pressante. Depuis plus de quarante ans, les Forces canadiennes jouent un rôle important dans la surveillance des zones de pêche; leurs avions y consacreront de nombreuses heures de vol et la flotte, bon nombre de jours de navigation. Les ministères de la Défense nationale et des Transports participent à l'heure actuelle à une vaste initiative fédérale dirigée par le ministère des Pêches et des Océans dans le cadre d'une entente, qui représente un excellent exemple de collaboration interministérielle favorisant une utilisation efficace des ressources gouvernementales.
L'une des questions les plus pressantes pour les régions de la côte atlantique concerne la pêche excessive que pratiquent certains navires étrangers sur le plateau continental du Canada, au-delà des 200 milles marins de notre zone exclusive. Ces agissements mettent en danger l'avenir de nos pêches et représentent autant d'infractions aux accords internationaux. Le gouvernement a pris les premières mesures en vue d'intervenir pour y mettre fin. Bien que la politique canadienne en la matière reste d'éviter les actions de police passé les 200 milles, à moins que cela ne soit absolument impératif pour protéger une ressource essentielle, il faut absolument que les Forces canadiennes en aient les moyens.
La collaboration interministérielle s'est nettement intensifiée par suite des recommandations du rapport Osbaldeston et du rapport de 1990 du Comité permanent de la défense nationale sur la souveraineté maritime. Des systèmes de communications protégées ont été installés, et des modes de fonctionnement normalisés ont été élaborés; de plus, les politiques d'acquisition tablent désormais sur les avantages que présentent un matériel commun et compatible.
Surveillance de l'environnement.
Le gouvernement accorde une grande importance à la protection de l'environnement, et en particulier à la prévention de la pollution et à la promotion de «pratiques vertes» dans ses activités quotidiennes. Le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes ont compté parmi les pionniers en la matière. L'ensemble de leurs plans et opérations (y compris les activités des forces alliées au Canada) est maintenant conçu en fonction des principes de gestion de l'environnement.
En outre, le ministère de la Défense nationale a conclu un protocole d'entente avec le ministère de l'Environnement concernant la participation des Forces canadiennes aux activités de surveillance et de nettoyage de l'environnement. Ce protocole précise la nature de l'aide que le Ministère et les Forces sont censés lui apporter advenant un grave incident écologique. Les Forces s'emploieront, par ailleurs, à signaler les problèmes réels ou potentiels qu'elles pourraient déceler dans le cadre de leurs opérations normales de surveillance.
Protection des Canadiens
Secours en cas de catastrophe.
Les Forces canadiennes jouent un rôle clé lorsque se produisent des catastrophes naturelles ou imputables à des actes humains. Le ministre de la Défense nationale est aussi responsable de la protection civile. En outre, dans le cadre d'une importante initiative ayant pour but de réduire les effectifs de l'administration, la planification d'urgence autrefois assurée par un organisme distinct, relève désormais du ministère de la Défense nationale. La coordination des ressources en cas d'urgence est régie par des protocoles d'entente conclus entre ce dernier et certains autres organismes gouvernementaux, et le Ministère se tient prêt à fournir des secours immédiats et efficaces en cas de catastrophe.
Recherche et sauvetage.
Le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes apportent une contribution essentielle à l'organisation et aux opérations de recherche et de sauvetage au Canada. D'autres organismes fédéraux et provinciaux assurent en partie ces services. Les Forces canadiennes ont, quant à elles, pour tâche :
- la recherche et le sauvetage par voie aérienne;
- de déployer d'importants moyens en appui de la Garde côtière en cas d'opérations de recherche et de sauvetage en mer;
- d'assister les autorités locales en cas d'opérations de recherche et de sauvetage sur terre; et
- de veiller au bon fonctionnement de leurs trois centres de coordination des opérations de sauvetage où sont reçus des milliers de signaux de détresse chaque année.
La recherche et le sauvetage représentent un défi de taille pour le personnel et l'équipement des Forces canadiennes. Les distances à parcourir sont souvent énormes et les conditions d'intervention très difficiles. La sauvegarde de vies humaines demeure toutefois une priorité absolue pour les Canadiens, et les Forces canadiennes continueront à jouer un rôle de premier plan dans ce domaine.
Objectifs
Si la menace militaire directe pesant sur le territoire canadien s'est estompée, la nécessité pour les Forces canadiennes de pouvoir défendre le pays n'a pas disparu pour autant. Nous conserverons donc les capacités militaires voulues pour jouer un rôle approprié dans la défense de notre pays. Conformément à la loi, les Forces seront en outre en mesure de répondre à toute demande d'aide au pouvoir civil. Enfin, les Forces canadiennes contribueront aussi à protéger la souveraineté du Canada et à l'accomplissement d'un large éventail de missions secondaires dans le cadre de leur assistance aux autorités civiles.
Les Forces seront capables de faire face de manière efficace aux situations inattendues qui pourraient se présenter dans les eaux sous notre juridiction, dans notre espace aérien ou sur notre territoire, y compris dans l'Arctique. Elles auront plus particulièrement pour missions :
- d'exercer régulièrement leur surveillance et leur contrôle sur toute activité à l'intérieur de nos frontières, dans notre espace aérien et dans les zones maritimes du Canada;
- d'aider, de manière habituelle, les administrations compétentes à atteindre divers objectifs nationaux dans des domaines tels que la protection des pêches, la lutte contre le trafic des stupéfiants et la protection de l'environnement;
- de se tenir prêtes à participer, dans les 24 heures, à toute opération d'assistance humanitaire ou de secours en cas de catastrophe, et à prolonger cet effort aussi longtemps qu'il s'avère nécessaire;
- d'assurer des services nationaux de recherche et de sauvetage;
- d'entretenir la capacité de contribuer, au besoin, de manière immédiate et efficace àtoute intervention en cas d'actes terroristes; et
- et d'intervenir en réponse aux demandes d'aide du pouvoir civil et de poursuivre ces opérations aussi longtemps que cela s'avère nécessaire.