Titre: Livre Blanc sur la Défense, 1994 - Chapire troisième
CHAPITRE TROISIÈME: DES FORCES APTES AU COMBAT
Le Canada ne peut se passer du potentiel de combat maritime, terrestre et aérien qu'offrent des forces armées modernes. Certes, aucune menace militaire directe et immédiate ne pèse pour l'instant sur lui, et les conflits d'aujourd'hui se déroulent loin de nos côtes. Il ne nous en faut pas moins, par prudence, conserver des forces suffisantes pour garantir notre souveraineté en temps de paix et nous permettre de produire des forces aptes à contribuer à la défense de notre pays, si besoin était. Hormis ces impératifs nationaux, le Canada risquerait fort de perdre en respect et en influence à l'étranger s'il cessait de participer de manière significative à la défense de l'Amérique du Nord, de ses alliés européens et des nations victimes de l'agression, ailleurs dans le monde.
Au demeurant, l'engagement du Canada à rester partie prenante aux efforts de la collectivité internationale en vue de promouvoir la sécurité et la défense collectives, reflète les valeurs et les intérêts de notre pays. En effet :
- les Canadiens considèrent que les relations interétatiques doivent être régies par l'autorité de la loi;
- ils considèrent leur propre sécurité comme indissociable de celle de leurs alliés; et
- ils ont un sens aigu de la responsabilité qui leur incombe de contribuer à apaiser les souffrances humaines là où leur action peut avoir des résultats concrets.
Ce sont là, en fait, les fondements mêmes de l'engagement du Canada en matière de sécurité collective. Le passé en a démontré la valeur et il n'y a aucune raison de croire que celle-ci ait diminué dans le contexte mondial actuel, où domine de plus en plus l'interdépendance.
La sécurité collective et l'évolution du maintien de la paix.
Pour pouvoir réellement contribuer à la sécurité collective, il faut commencer par reconnaître que la nature des activités multilatérales de maintien de la paix et de la stabilité a radicalement changé. En effet, ces missions ne sont plus seulement de simples opérations d'interposition et de contrôle. Elles ont à présent des buts beaucoup plus ambitieux et présentent bien davantage de défis et de risques pour notre personnel. Certes, les objectifs traditionnels du Canada, soit la prévention et la suppression des agressions, le règlement pacifique des conflits et l'assistance aux populations civiles demeurent; mais le contexte, lui, a changé. Pour que les Forces canadiennes puissent jouer un rôle au niveau de la sécurité collective, il faut donc qu'elles disposent des moyens d'une véritable force de combat.
La défense collective.
La transformation profonde de notre contexte stratégique se traduira par une évolution de la signification des rapports que nous entretenons avec nos alliés européens et américains. Ce serait toutefois faire erreur que de disputer la valeur de ces liens. D'un point de vue canadien, la défense collective demeure, en effet, absolument essentielle à notre sécurité.
- D'abord, nos alliés sont des nations avec lesquelles nous partageons des valeurs politiques, des intérêts et des traditions qu'il nous importe de défendre et de promouvoir.
- Ensuite, les avantages pratiques de la défense collective sont de précieux atouts en cas d'actions internationales visant à promouvoir la sécurité collective, qu'il s'agisse de normalisation des équipements et des procédures, ou d'expérience des opérations interalliées.
- Enfin, si le Canada ou ses alliés se trouvaient jamais confrontés à une menace militaire sérieuse, il est certain que nous voudrions faire jouer des accords de défense collective pour assurer notre sécurité. Or, il est important que de tels accords subsistent en temps de paix, puisqu'il serait très difficile de les rétablir en temps de crise.
Gérer la gamme complète des conflits.
Au cours des quatre-vingts dernières années, plus de 100 000 Canadiens sont tombés aux côtés de leurs alliés au cours de combats pour la défense de valeurs communes. Abandonner aujourd'hui à d'autres ce rôle de combattant, reviendrait à renoncer à défendre les grands principes qui doivent régir le comportement des États. En somme, opter pour des forces de quasi-gendarmerie (ni équipées, ni formées pour être vraiment utiles au combat) donnerait une très claire indication de la chaleur de notre engagement vis-à-vis de nos alliés et de nos valeurs; en trahissant notre réputation nous compromettrions notre avenir. Qui plus est, nous ne pouvons pas espérer exercer au sein des instances garantes de la sécurité mondiale et régionale une influence disproportionnée par rapport à notre effort de défense. Force nous est donc d'investir dans notre défense si nous entendons jouer un rôle quelconque dans la création d'un avenir commun.
Le gouvernement a conclu qu'il y va de l'intérêt national de maintenir des forces polyvalentes et aptes au combat. Ce n'est qu'à condition de disposer de telles forces, que notre pays pourra faire preuve de la souplesse et de la latitude nécessaires pour défendre ses intérêts et projeter ses valeurs à l'étranger. En outre, ces capacités de combat essentielles sont d'une importance capitale lorsqu'il s'agit de produire, au besoin, des forces plus nombreuses. Le gouvernement considère donc que, tant du point de vue de la promotion de nos valeurs que de la protection de nos intérêts, de l'offre de garanties contre l'incertitude, voire de l'optimisation du rendement des deniers publics, investir dans des forces de quasi-gendarmerie ne se justifie guère.
En la circonstance, le défi consiste à élaborer, dans les limites de nos ressources, un programme de défense qui produise des forces armées compétentes. Vu les dimensions et les moyens du Canada, il ne saurait et ne devrait être question de couvrir toute la gamme des activités militaires imaginables. Néanmoins, il faut absolument que les Forces canadiennes soient en mesure de contribuer réellement à un large éventail d'objectifs nationaux et internationaux.
Souplesse, capacités et choix.
S'il est indispensable que subsistent savoir-faire et capacités de combat spécialisés, il ne faut pas en conclure pour autant que, pour conserver des forces aptes au combat, le Canada doive posséder absolument toutes les composantes de la panoplie militaire. Ainsi, même si les Forces canadiennes ont dû se départir, au fil des ans, de plusieurs éléments spécialisés (des porte-avions aux croiseurs, en passant par les hélicoptères mi-lourds, les aéronefs de patrouille àrayon d'action moyen et les flottes distinctes de chasseurs spécialisés dans la défense aérienne ou l'attaque au sol), elles continuent de répondre aux besoins ressentis au Canada et de contribuer efficacement à la paix et à la sécurité internationales. À notre avis, la tendance à nous spécialiser en privilégiant les moyens polyvalents et essentiels ne nuit en rien à notre capacité de protéger nos intérêts ou de remplir nos obligations envers nos alliés.
Il faut au Canada des forces armées en mesure de combattre contre un ennemi puissant, côte à côte avec les forces modernes de nos alliés et des pays dont nous partageons les valeurs. Cela implique une force capable de se battre «aux côtés des meilleurs, contre les meilleurs». Pour préserver ce potentiel, nous avons dû faire des choix difficiles. Nous continuerons de mettre en parallèle les coûts et les avantages relatifs de diverses capacités, afin d'en arriver aux compromis difficiles, certes, mais cruciaux, qui doivent permettre aux Forces canadiennes de contribuer à une plus large gamme d'objectifs. Il en ressort qu'il serait malavisé d'investir dans des forces et des ressources très spécialisées, à un extrême de l'échelle comme à l'autre (dans des avions de guerre antichars, par exemple, ou des forces uniquement appropriées à des missions de maintien de la paix quasi dépourvues de risques). Ces solutions nous priveraient l'une et l'autre du potentiel et de la souplesse qu'offrent des forces polyvalentes. En fait, en période de restrictions budgétaires, le maintien de forces polyvalentes procède d'un choix pragmatique et logique, et conserve au gouvernement un maximum d'options militaires qui cadrent, du point de vue des coûts, avec les grands choix du gouvernement au plan budgétaire et de ses autres politiques.
Le gouvernement a donc décidé que les Forces canadiennes resteraient une ressource nationale susceptible de contribuer de manière significative à un large éventail d'objectifs canadiens. Les services d'analyse et de renseignement que comptent le Ministère et les Forces canadiennes garantissent, par ailleurs, au gouvernement un point de vue canadien indépendant sur les grandes tendances en matière de défense et donc les moyens de décider en connaissance de cause. De plus, l'investissement consenti pour former et équiper les Forces produira une force de combat qualifiée, dont les compétences pourront être appliquées non seulement à certaines tâches spécialisées, mais aussi à divers objectifs nationaux et internationaux.
Le maintien de forces polyvalentes et aptes au combat constitue le seul choix prudent pour le Canada. Ce n'est qu'à condition de conserver les capacités militaires essentielles à ces forces, que notre pays pourra, en toute éventualité, satisfaire ses propres besoins en matière de sécurité maintenant et à l'avenir.